Une trilogie : un conte, une rencontre, un rêve - 1/... : le conte des fleurs de pluie -
Les Fleurs de Pluie.
Savez-vous ce que sont les fleurs de pluie ?
Ce sont des cailloux,
des cailloux particuliers
que l’on trouve parfois dans les torrents
et sur les bords de certaines rivières.
Ils contiennent des oxydes métalliques,
de fer, de cuivre, de cobalt, de manganèse, de chrome.
Et cela détermine des images, des formes, des couleurs.
Ce qui n’apparaît pas toujours d’emblée.
Mais quand on polit ces cailloux,
ou qu'on les casse d’une certaine façon,
le dessin peut apparaître…ou être détruit.
C’est tout un art.
Il faut beaucoup de savoir faire, de patience.
De chance aussi.
Il y a en Chine une rivière où l’on trouve ces fleurs de pluie.
Au bord de cette rivière viennent en grand nombre
des chercheurs, des collectionneurs, des spécialistes.
Ils cherchent le spécimen rare.
Et quand une belle fleur de pluie est trouvée,
cela se sait dans toute la vallée.
Tout le monde veut la voir.
Certains collectionneurs cherchent à acheter les pièces qu’ils convoitent.
Il faut être très riche pour acquérir les plus belles.
Certains font des économies des années durant
pour pouvoir acheter l’une d’elles.
Un jour un étudiant, très pauvre, entendit parler de ces fleurs de pluie.
Il décida de tenter sa chance et vint au bord de cette rivière.
Il y rencontra un groupe de chercheurs qui discutaient entre eux
et qui se montraient les fleurs de pluie qu’ils venaient de trouver.
Il s’approcha pour voir
mais il n’osa pas se mêler à eux.
Il retourna au bord de la rivière.
Là, il ramassa quelques cailloux.
Les examinant un à un, il vit que certains étaient veinés.
La plupart étaient noirs, avec un centre rouge.
Il pensa que l’un des cailloux ressemblait à un œil qui le regardait.
Les jours suivants, il osa se mêler aux autres chercheurs.
Ils lui montrèrent leurs trouvailles.
Certains cailloux faisaient penser à des fleurs de lotus,
un autre, très beau, à un arbre aux mille racines,
un autre encore, superbe, à un chat endormi.
L’étudiant montra ce qu’il avait trouvé, mais cela n’intéressa personne.
Déçu, il fut sur le point de jeter ce qu’il avait ramassé.
Il n’en fit rien cependant.
Puis il entendit parler du plus fameux des chercheurs de Fleurs de Pluie.
Son nom était TSEU.
Il possédait trois pièces exceptionnelles.
Une représentait un arbre givré.
La seconde un serpent qui attrapait un papillon.
La troisième était la plus extraordinaire :
On y devinait une sorte de chien rouge à deux têtes.
L’étudiant décida d’aller voir TSEU.
Il devait pour cela marcher trois jours dans la montagne.
Pour passer sa première nuit, il trouva un petit hôtel le long d’un torrent.
Une fois dans sa chambre, il installa ses cailloux sur la table.
Ils lui semblèrent bien ternes.
Même l’œil rouge paraissait triste.
Il se coucha, laissant les cailloux en tas sur la table.
La nuit, il fut agité par un rêve érotique.
Le matin il se réveilla… épuisé !
Son lit était défait.
Il eut du mal à se mettre debout.
Il vint vers la table, et là ….
Surprise….
Les cailloux étaient bien rangés !!!
Ils semblaient former comme un chemin
qui grimpait dans la montagne,
en longeant le torrent….
Il était fasciné !
Le second jour, il explora la vallée où se trouvait cet hôtel.
Il finit par découvrir exactement le même chemin que celui qu’il avait vu sur la table.
Il décida de rester dans le même hôtel une seconde nuit.
La nuit suivante il refit le même rêve….
avec le même résultat.
Mais le matin, en allant vers la table….
il vit que les pierres avaient encore changé de position.
Elles étaient rassemblées en tas.
Et sous le tas, un papier.
Et sur le papier, un message…
« Viens !
Viens ce soir sous le pont.
Viens ! »
Un pont ?
Oui, il se rappela que la veille, en explorant la vallée,
Il était monté jusqu’à un pont sur le torrent.
Il pensa que c’était une femme qui avait écrit ce mot.
Mais il était écrit comme si elle le connaissait.
Pourquoi ?
Qu’allait-il faire ?
Toute la journée, il demeura inquiet.
Le soir, son cœur tremblait.
Il alla au rendez-vous.
Arriva sur le pont.
Personne.
Le torrent gazouillait sa chanson.
Parfois il n’entendait plus le torrent
et il était alors plongé dans un grand silence,
aussi vaste que la montagne elle–même.
Parfois le silence était brisé par la chute d’une pierre
et l’écho essayait de retenir le bruit de cette chute.
La pleine lune éclairait la vallée.
Des ombres immenses s’allongeaient.
Soudain elle apparut sur le pont !
Une femme vêtue d’une robe rouge.
Elle portait des chaussures vernies.
Elle vint vers lui,
lui prit le bras, et lui dit :
« Viens ! »
Lui, effrayé, répondit « Non ! »
Elle reprit :
« Si, viens !
Viens vite.
Vite, suis-moi. »
Il y avait un tel accent d’angoisse dans sa voix,
comme un appel désespéré,
qu’il la suivit.
Pourtant elle marchait si vite,
elle montait avec une telle agilité parmi les cailloux du chemin,
qu’il avait beaucoup de mal pour rester à son niveau.
Le chemin devint de plus en plus difficile,
Finissant par n’être qu’un étroit sentier entre,
à droite la paroi rocheuse,
à gauche le vide.
Et tout en bas le torrent.
Soudain on entendit un bruit.
Était-ce une avalanche de pierres ?
Mais non : le bruit ne cessait pas de s’amplifier.
C’était….
C’était une troupe de chevaux qui galopaient
et qui arrivaient par ce chemin.
Alors lui et cette femme se plaquèrent contre la paroi
pour laisser la place aux chevaux.
Ils arrivèrent.
C’était des chasseurs, armés de fusils, avec des chiens.
Ils passèrent.
Eux étaient presque cachés dans un creux du rocher.
Mais le dernier cheval qui passa renversa la femme.
Lui se précipita pour l’aider à se relever,
et voici que....
voici que ce n’était pas une femme qui était là, à terre…
c’était maintenant une renarde, au poil roux.
En même temps que la renarde se relevait,
on entendit comme un cri désespéré, un appel,
qui lui serra le cœur.
À ce moment là un chien des chasseurs se retourna,
vit le renard, et bondit vers lui, suivi de tous les autres chiens.
La renarde se sauva, poursuivie par les chiens.
L’étudiant la perdit vite de vue.
À terre restaient la robe rouge et les chaussures vernies.
Il les ramassa, et rentra à l’hôtel.
Que devait-il faire ?
Il se rappela qu’il allait voir TSEU.
Il n’en avait plus envie.
Mais le lendemain il décida pourtant d’y aller
et il reprit son chemin.
Il arriva devant une petite maison.
Il trouva TSEU sur le pas de sa porte.
« Ah te voici !
Je sais, je sais : tu viens voir mes trois fleurs de pluie. »
Et il les lui montra.
Il lui montra la première.
Il lui montra la seconde.
Mais quand il lui montra la troisième….
les deux têtes du chien rouge avaient disparu.
Il n’y avait plus qu’une tête, une seule.
Et l’étudiant reconnut la tête de la renarde,
avec des yeux infiniment tristes,
qui le regardaient.
demain la suite...
car ce conte m'avait troublé, quand je l'ai retrouvé.
Sa fin me paraissait curieuse,
trop douloureuse, tronquée...