- La Joie - 5 - Le Manque et le Désir -
Pourquoi , lorsqu'un couple se forme,
la déception suit-elle assez souvent ?
Nous étions "amoureux ",
nous allions enfin pouvoir réaliser nos rêves érotiques les plus fous.
Débarrassés des interdits, des surveillances, des jugements.
S'ouvrait devant nous, non pas une lune de miel,
mais un océan de délices....
qui allait durer toujours.
Ouette !
Oh certes il y eut bien une période initiale assez exaltante.
De découvertes, d'expérimentations,
d'exploration de ce nouveau continent qu'est le corps de l'autre,
et d'apprivoisement de l'indigène habitant ce nouveau monde.
Enfin... dans les bons cas.
Comme le skieur qui se lance depuis le haut de la piste,
et dévale à toute vitesse la pente abrupte.
Tout schuss !
Quelle joie intense, violente, incroyable !
Mais au fil des jours, les actes vont se banaliser.
Le plaisir est toujours obtenu.
Mais quid du désir ?
Désir du plaisir, bien sûr.
Désir bien facile à satisfaire.
(même si quelques petits problèmes).
Joie du plaisir pris, du plaisir donné.
Tout cela est bel et bon.
Mais voilà, si vous mangez tous les jours du saumon...
que va-t-il se passer ?
Vous aurez peut-être envie d'une petite sardine !
Le désir va s'affadir.
Il va perdre son piquant : l'incertitude, l'attente...
Ce processus sera plus ou moins rapide, mais il est inéluctable.
Pourquoi ?
Parmi les mille raisons possibles, il en est une constante :
on ne peut désirer ce que l'on possède.
On peut en jouir, mais on ne peut pas le désirer.
On " l'a " , (du verbe AVOIR).
Cette femme que j'ai si longtemps désirée,
qui me semblait inaccessible,
que j'ai eu tant de mal à "conquérir",
elle est chaque soir dans mon lit !
Le confort absolu.
Plus d'inquiétude.
Je la "possède" !
La sécurité.
Quel bonheur !
Mais la joie ?
Pour le moins elle se modifie.
Elle perd ses bulles,
comme le champagne dans une bouteille depuis longtemps ouverte.
Pardon : je vais essayer d'être bref.
La joie, ce n'est pas la possession.
La joie c'est le désir !
La satisfaction du désir amène un plaisir.
Et momentanément une éclipse du désir.
Pas grave, il revient vite.
Mais la satisfaction du désir, si elle devient très facile,
si elle se répète très régulièrement,
entraîne l'étiolement du désir.
Ajoutez à cela quelques conflits psychologiques...
et vous risquez d'avoir une déconstruction de tout l'édifice.
D'où cette réflexion sur le manque.
Le manque n'est pas ce que l'on croit !
Le manque fait naître en moi le désir.
Or le désir est pour moi ce que l'avoine est pour le cheval.
Le désir stimule en moi la vie.
D'où cette conclusion paradoxale :
je suis riche de mes manques !
Ma plus grande richesse, c'est ce que je ne possède pas !
Je suis riche de mes désirs, de mes rêves, de mes projets.
Parmi mes rêves, beaucoup sont irréalisables.
Certains autres, je pourrai les réaliser.
Mais attention à ne pas les réaliser trop vite !
Les difficultés que je vais peut-être rencontrer,
je ne devrais pas les maudire :
ils protègent mes désirs.
Je songe à une chose : aux cathédrales.
Les hommes ont vu les grands arbres
s'élançant à la verticale vers le ciel.
Alors ils ont désiré faire comme eux.
Et ils ont inventé les cathédrales.
Pour la gloire de dieu ?
Oh si dieu il y a , il n'a pas besoin de ça.
Pour la gloire de tel ou tel prélat ?
Il se peut, mais c'est raté : on ne se souvient pas d'eux !
Reste l'oeuvre d'art.
Magnifique !
Ces cathédrales sont une célébration du désir.
Du désir de s'élever vers le ciel.
Le même désir que les arbres !
Qu'en est-il de nos jours ?
dans notre monde "moderne" ?
Il est certes des pauvres, qui manquent de l'essentiel.
Mais dans nos sociétés occidentales,
bien des gens aussi ne sont pas dans ce cas.
Or ils semblent dépourvus de joie,
même des jeunes, surtout des jeunes !
De quel manque souffrent-ils (bien souvent) ?
Quelque chose leur manque en effet :
ils manquent de manque !
Ils ont des autos,des télés, des portables,
les jeunes ont des ordis dernier cri,
des ipads et autres gadgets dont j'ignore même le nom,
des super portables, presque des ordinateurs de poche,
ils sont gavés de musique, d'images,
ils sont gavés d'aliments hyper énergétiques,
de vitamines, d'alicaments.
Ils sont vaccinés. Contre tout.
S'ils sont un peu malades, on les abreuvent d'antibiotiques,
d'antalgiques, d'anti-inflammatoires,
d'anti toux... d'anti tout, quoi.
Sont-ils plus heureux ? Plus joyeux ????
A l'évidence, non.
Et plus on leur donne de trucs, plus ils sont tristes.
Le confort même qu'on leur apporte n'y change rien, au contraire.
Ils manquent de désirs.
Ils manquent de manques.
Bon, ça y est,
j'ai sans doute été encore trop caricatural.
Tant pis, vous me corrigerez.