- Un conte inuit : la femme squelette -
Ce conte est donné dans 'Femmes qui courent avec les loups',
de Clarissa Pinkola Estès.
Dimanche 8 janvier 2012, Nathalie Noëlle Rimlinger nous l'a conté
(à ses deux amies et à moi)
Je vais, à mon habitude prendre quelques libertés
par rapport au texte écrit dans le livre.
Vous pourrez trouver le texte complet en cherchant
" conte de la femme squelette" sur Google.
Vous pourrez voir aussi le superbe dessin animé
que j'ai utilisé comme modèle pour mes illustrations.
Ce conte, comme tous les contes inuit,
comporte des images d'une grande violence.
Elles ont une portée symbolique forte.
LA FEMME SQUELETTE
Conte inuit
Elle avait fait quelque chose que son père désapprouvait,
mais dont personne ne se souvenait.
Toujours est-il que son père l'avait traînée jusqu'à la falaise
et précipitée dans la mer !
Les poissons avaient mangé sa chair, dévoré ses yeux.
Et elle gisait sous les eaux,
son squelette ballotté par les courants.
******
Un jour, arriva un pêcheur.
Et voici que l'hameçon du pêcheur vint à se prendre
dans les os de la cage thoracique de la Femme Squelette.
"Oh, pensa le pêcheur, je tiens là une grosse prise !"
Il imaginait déjà le nombre de personnes
que ce magnifique poisson allait nourrir......
Alors, tandis qu'il se bagarrait avec ce poids énorme,
la mer se mit à bouillonner,
secouant son kayak comme un fétu de paille,
car celle qui était sous la surface
se débattait pour essayer de se libérer.
Mais plus elle luttait, plus elle s'emmêlait dans la ligne.
Elle avait beau faire,
elle était inexorablement tirée vers le haut,
accrochée par les côtes.
Le chasseur s'était retourné pour rassembler son filet.
Il ne vit donc pas son crâne chauve
apparaître au-dessus des vagues. ......
Quand il se retourna avec son filet,
le corps tout entier avait émergé et était suspendu
à l'extrémité de son kayak par ses longues dents de devant.
"Aaaah !" hurla l'homme.
De terreur, son coeur fit un bond terrible
et ses yeux allèrent se réfugier à l'arrière de sa tête,
tandis que ses oreilles devenaient cramoisies.
"Aaah !"
Il lui asséna un coup de pagaie
et se mit à pagayer comme un fou vers le rivage
sans se rendre compte....
qu'elle était entortillée dans sa ligne.
Aussi semblait-elle le pourchasser, debout sur ses pieds.
Il était de plus en plus terrifié.
Il avait beau faire des zigzags, elle suivait,
son haleine dégageait des nuages de vapeur
et ses bras se tendaient,
comme pour se saisir de lui.
"Aaaaaaah !" gémit-il en touchant terre.
Il ne fit qu'un bond hors de son kayak et se mit à courir,
sa canne à pêche serrée contre lui, avec sa ligne,
le cadavre de corail blanc derrière lui ....
Il escalada les rochers.
Elle le suivit.
Il se mit à courir sur la toundra gelée.
Elle le suivit.
Il courut sur le poisson qu'on avait mis à sécher dehors.
Elle s'empara au passage d'un peu de poisson séché
et se mit à le manger,
car il y avait bien longtemps qu'elle ne s'était nourrie.
Enfin, l'homme atteignit son igloo,
plongea dans le tunnel
et rentra à l'intérieur à quatre pattes.
Hors d'haleine, il resta là, à hoqueter dans l'obscurité,
le coeur battant la chamade.
Enfin en sécurité,
oh oui, oui,
grâce aux dieux...!!!
Et voilà que,
lorsqu'il alluma sa lampe à huile de baleine....
elle était là,
recroquevillée sur le sol de neige,
un talon par-dessus l'épaule,
un genou contre sa cage thoracique,
un pied sur le coude.
Alors ....
la respiration du pêcheur se fit plus attentive,
doucement....
il tendit ses mains rudes et...
avec les mots d'une mère à son enfant,
il se mit à la désenchevêtrer de la ligne.
"Na, na..."
Il commença par désentortiller la ligne
de ses doigts de pied,
puis de ses chevilles.
"Na, na..."
Il travailla jusqu'à la nuit,
jusqu'à ce qu'il la vête de fourrures pour lui tenir chaud.
Elle, dans ses fourrures, ne disait mot -
elle n'osait pas - de peur qu'il ne s'empare d'elle,
la jette sur les rochers
ou la mette en pièces.
Puis l'homme commença à somnoler.
Il se glissa sous les peaux et bientôt se mit à rêver.
Une larme vint à perler à sa paupière.
La Femme Squelette vit la larme briller
et soudain, elle eut terriblement soif.
Elle déplia ses os
et se glissa vers l'homme endormi,
puis posa sa bouche sur la larme.
Cette unique larme fut une rivière à ses lèvres assoiffées.
Elle but encore et encore,
jusqu'à étancher la soif qui la brûlait depuis si longtemps.
Pendant qu'elle était allongée auprès de lui,
elle plongea la main en l'homme endormi
et mit au jour son coeur,
ce puissant tambour.
Elle s'assit et tapa sur les deux côtés du coeur :
Boum, boum ! Boum, boum !
Tandis qu'elle jouait ainsi, elle se mit à chantonner :
"De la chair, de la chair, de la chair !"
Et plus elle chantait,
plus son corps se couvrait de chair.
Et elle se mit à danser.
Elle chanta pour une chevelure,
elle chanta pour des yeux,
elle chanta pour des mains potelées.
Elle chanta pour une fente entre ses jambes,
pour des seins longs, assez profonds pour tenir chaud,
et tout ce dont une femme a besoin.
Et quand ce fut terminé,
elle chanta pour ôter les vêtements de l'homme endormi
et se glissa avec lui dans le lit,
peau contre peau.
Elle rendit à son corps le tambour magnifique,
son coeur,
et c'est ainsi qu'ils se réveillèrent,
l'un et l'autre emmêlés,
mais d'une façon différente.
Les gens ont oublié ce qui avait causé son malheur.
On raconte qu'elle s'en alla avec le pêcheur,
et qu'ils vécurent le reste de leur vie ensemble.