Mélosa : conte de la petite autruche courageuse qui voulait être aimée.
Conte d’une petite autruche courageuse
qui s’appelait Mélosa.
Il était une fois une petite autruche qui était née...
oh, bien loin d’ici,
presque au bout de la terre.
Comment s’appelait-elle ?
Je ne m’en souviens plus…
Ah si ....elle s’appelait Mélosa…
Allez savoir pourquoi !
Mélosa a tout de suite posé des problèmes à sa maman.
Normalement, les bébés autruches sont vite très voraces :
ils mangent, pourrait-on dire, tout ce qui passe à leur portée!
Pas seulement les herbes et les graines de millet ou d’autres plantes, ainsi que les petits fruits sauvages qu’ils trouvent dans les buissons épineux. Ils gobent aussi les insectes, et même les petits rongeurs, les petits lézards, voire les gentils scorpions qu’ils débusquent jusque sous les pierres!
Mélosa n’était pas ainsi : elle n’était pas normale !
Elle ne voulait rien manger du tout !
Alors au lieu de grossir elle maigrissait.
Elle maigrissait à faire peur.
N'allait-elle pas en mourir ?
Au lieu d’avoir de jolies petites fesses rebondies
comme toutes les petites autruches
(et les mères autruches sont tellement fières des fesses de leur petite fille, autant que les rugbymen du bouclier de Vénus, heu, pardon de Brennus.)
Mélosa n’avait que la peau sur les os, lesquels pointaient dangereusement
On lui voyait le croupion !
C’était une honte pour sa mère !
Aussi maman autruche se lamentait toute la journée.
Elle allait voir ses voisines pour se plaindre!
Ma fille n’a jamais faim, c’est bizarre.
Ah vous pouvez dire qu’elle m’en fait voir !
Qu’ai-je fait au bon dieu pour avoir une fille pareille ?
C’est bien ma veine…
Elle va finir par en mourir !
Et pour commencer, moi, elle me rend malade !
Il faut faire quelque chose, suggéraient les voisines,
la forcer à manger, la gaver, comme on fait pour les oies.
Maman autruche eut une autre idée :
Elle mit sa fille dans une clinique très chic et très chère
Une clinique à la mode
installée dans une termitière toute neuve,
tenue bien sûr par des sœurs termites très dévouées.
Chambre luxueuse, avec vue imprenable sur la savane.
Mélosa y fut nourrie au jus de cactus.
Beurk ! C’était pire que du jus de chaussettes !
Au début elle refusait et poussait des cris affreux !
On aurait cru un dragon de Komodo !
Mais elle avait si peur des sœurs Termites,
qu’elle en a avalé des tonnes, de jus de cactus
Et le traitement a fini par vaincre sa résistance
Ah oui, car il faut vous dire qu’en fait Mélosa avait une faim normale,
et que, même, elle crevait de faim : une vraie torture médiévale !
Si elle ne mangeait pas, ce n’était pas par manque d’appétit.
Elles les auraient volontiers avalés, les petits asticots qu’elle trouvait parfois sur les figues de barbarie.
Mais voilà, il n’y avait pas de place dans son estomac.
Comment ça, me direz-vous :
il y avait de la place puisqu’elle ne mangeait rien !
Et bien si, son estomac était plein.
Pleins des cris incessants de sa mère
qui lui hurlait de manger d’un air de suppliciée,
plein des raisons qu’elle lui donnait,
plein de ses plaintes incessantes
à propos de la méchanceté de sa fille
qui ne voulait pas lui faire plaisir en mangeant
comme le font toutes les autres petites ratites,
si gentilles et obéissantes.
Aussi son estomac était bourré de mots,
quelle mâchait et remâchait avec une rage terrible,
qu’elle ruminait sans arrêt,
qu’elle avalait et ravalait sans fin,
espérant les digérer à la longue.
Mais rien à faire : ils étaient là, dans son estomac,
comme un horrible paquet de ficelle,
de fils de fer barbelés même.
Aussi avait-elle des brûlures d’estomac.
Voici donc Mélosa sortant de la termitière-clinique.
Et puisqu’on avait brisé sa première ligne de défense,
elle en élabora une autre. Toute opposée.
Elle se mit à manger sans arrêt !
A manger de tout, et à tout moment de la journée et de la nuit.
Debout, assise, couchée, peu importe !
Mais jamais avec plaisir.....
même quand elle dévorait une tablette de chocolat !
Mais au contraire avec colère, et avec dégoût,
comme si elle ingurgitait les choses les plus sales du monde.
Il lui avait parfois semblé qu’elle avalait le vomi de sa mère !
Et c’est pourquoi, chaque jour, elle allait souvent dans un coin discret
pour vomir tout ce qu’elle avait accumulé dans sa poche gastrique,
exactement comme si elle avait vidé une poubelle dans une décharge.
En vomissant, elle était en rage,
et elle avait tellement mal !!
Comme si c’était son propre estomac qu’elle expulsait de son corps.
Enfin, ouf, son estomac était vide.
Bref instant de répit,
car elle reprenait aussitôt son travail épuisant.
Dans le fond, rien n’était changé !
Au lieu de se bourrer des mots de sa mère,
elle se bourrait de camembert, de yaourt bio, de crèmes Mont-Blanc, de Kouign-Amann, de sardines à l’huile, de religieuses, de cacahuètes….
Cette manducation permanente l’épuisait !
C’était aussi fatiguant pour elle que pour cette femme,
dont je ne rappelle plus le nom,
qui avait traversé l’Atlantique à la rame.
C’était^pour autruchette une sorte d’exploit.
Son exploit à elle.
Elle voulait traverser la mer en l'avalant,
non, elle voulait changer sa mère,
qu'elle regarde enfin sa fille , et l'aime !
Quel courage elle avait Mélosa !
Résultat, elle était, en quelques mois....
devenue aussi grosse qu’un bibendum.
Et à propos d’hommes, il faut dire qu’elle commençait à y penser…
Les sœurs termites s’en étaient bien aperçues, à des signes que l’on ne peut cacher à d’aussi saints insectes priant sans cesse la Sainte Vierge de les garder de toute souillure !!
Et elles l’avaient mise sévèrement en garde contre ces voies de la dépravation ....
Grossir avait un avantage à ce sujet :
elle allait construire une forteresse,
se cacher derrière des remparts de graisse.
Elle allait dégoûter les hommes !
Ah pardon, je parle d’hommes.
Mais vous avez compris, je parle des autruches mâles.
Car il est bien certain que ça ne se passe jamais comme ça chez les humains !
Oui, je sais ...
Vous vous demandez pourquoi des situations aussi stupides surviennent dans le peuple des autruches ....
C'est , voyez vous, que les autruches ont de toute petites têtes,
et ne sont donc pas, en général, très intelligentes.
Ce n'est pas de leur faute.
Et en plus, souvent, les couples d'autruches... c'est pas le top !
Souvent les mamans autruches ne reçoivent pas de leurs compagnons les marques d'attention qui les rendraient sereines.
Leur couple boîte.
Il ne "marche" pas très bien.
Alors elles se servent de leurs enfants comme de déambulateurs.
Souvent elles se sentent méprisées, inexistantes, délaissées.
Elles ont envie de crier leur colère, leur désespoir même.
Mais elles n'osent pas, et font semblant.
Font semblant que tout va bien.
Alors que tout va mal !
Mais il faut porter sa croix , comme dit l'autre.
Le problème, c'est que pour porter leur croix de cette façon là...
elles embauchent leurs autruchons et autruchettes.
Elles les clouent à la même croix qu'elles mêmes.
Solidarité familiale !!!!!!!!
Ne riez pas : ça n'est pas drôle une vie d'autruche !
Quelques fois, pour ne plus voir tout ça,
elles se fourrent la tête dans le sable :
c'est une façon de s'évader de la réalité !
Mais la plupart du temps, elles se défoulent en parlant, et elles en racontent, elles en racontent.
Pas leurs vrais malheurs bien entendu.
Car c'est défendu chez les autruches : il faut garder la tête haute !
Non, elles disent n'importe quoi : elles parlent "pour ne rien dire" !
C'est-à-dire, pour ne pas révéler
ce qui ne va pas dans leur vie de femme-autruche.
Mélosa, qui était très intelligente, avait très bien compris tout ça.
Elle savait que les paroles que disait sa mère étaient fausses.
Elle aurait voulu que sa mère ne se cache pas sans arrêt dans un torent de mots, n'étouffe pas sans arrêt ses vrais sentiments.
Que, lorsqu'elle était malheureuse, elle dise : je suis malheureuse.
Et qu'elle ne se laisse pas écraser par Monsieur Autruche.
Or Madame Autruche avait choisi de parler sans arrêt avec des mots creux, pour occuper son esprit avec des idées vides de sens, mais qui formaient comme un écran de fumée entre elle et les autres.
Entre elle et sa propre conscience.
Elle faisait comme sa fille , dans le fond :
elle remplissait sa tête de vent, de mots sans valeur, d'aliments frelatés.
Et à elle seule, elle faisait plus de bruit que douze cigognes sur un toit de Colmar !
Sa fille Mélosa, elle, n'avait rien fait d'autre que de lui renvoyer son image, mais avec une autre clé....
Le pire, c'était que la mère Autruche utilisait Mélosa pour édifier sa barrière de protection contre ses angoisses.
Je l'ai dit, Mélosa, qui était très intelligente, avait tout de suite compris que sa mère l'utilisait comme un sac de sable dans un système défensif....
Et çà, elle ne pouvait le supporter !
Elle aurait voulu être aimée pour elle même.
Que sa mère la regarde enfin, et lui dise "je t'aime",
et non pas : "tu m'es indispensable".
Que sa mère lui dise : va, vis ta vie d'autruche !
Et non pas : reste près de moi comme ma béquille.
Si tu pars, je vais m'effondrer.
Croyez-vous possible que les choses changent ?
Croyez-vous que la mère autruche cessera un jour de se cacher derrière ses plumes ?
Croyez-vous qu'elle cessera de s'épuiser
à faire croire que tout va bien,
et quelle n'a pas envie de pleurer
en reconnaissant que sa vie n'a pas été aussi belle qu'elle le dit.
Pourquoi les autruches n'auraient-elles pas le droit de pleurer ?
Les crocodiles le font bien.
Croyez-vous que Mélosa pourra sortir de ce piège affectif,
et vivre enfin sa vie d'autruche, à son propre compte ?
Oui.....
Je me rends compte que le compte n'y est pas, et que ceci n'est pas un conte : il faudrait une suite, et qu'une fée, ou un prince charmant, ou les deux (!!!) viennent changer la donne,détruisent ces équilibres ancestraux...
Mais après tout, c'est une affaire d'autruche.
Ouf, chez les humains, on n'a pas tous ces problèmes !
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