- Un conte Chinois : Maïlane et le sculpteur de jade ***-
Maïlane et le sculpteur de Jade
Ce conte nous introduit dans une vision du monde différente
de celle du conte traditionnel en Europe,
lequel se termine assez souvent par une formule du genre :
« Ils furent heureux et vécurent très longtemps ».
Le conte est un peu long, je m'en excuse.
J'avais déjà publié ce conte le 24 08 2009
et j'avais eu d'intéressants commentaires
de Pascale, Aln et Sitelle.
Pour les curieux uniquement ,je les replace à la fin de cet article.
Je ne crois pas qu'il convienne pour de jeunes enfants.
Un haut magistrat chinois avait une fille unique qui s’appelait
Maïlane.
Comme il était très riche et vivait dans une grande maison,
de nombreux parents vivaient chez lui.
Beaucoup étaient instruits : des lettrés.
D’autres non : ceux-là jouaient le rôle de serviteurs.
Un jour est venu un garçon, qui s’appelait
Tchang-Po.
Il venait de la campagne, c’était un cousin de Maïlane.
On s’était demandé ce qu'on allait faire de lui,
car il n’était pas instruit.
On le fit travailler au jardin.
Et là, il fut heureux.
Depuis que le ciel et la terre marchent ensemble,
les hommes libres ont toujours aimé jardiner.
Souvent sa cousine Maïlane venait le voir travailler.
Et ils restaient longtemps ensemble.
Ils étaient très jeunes.
Des enfants quoi.
Mais...
il manquait quelque chose à Tchang-Po.
Un jour...
il a trouvé un petit bout de jade.
Il l’a sculpté.
Et il en a fait un très bel objet :
un chat endormi.
Alors il a regardé les objets de jade dans les magasins de la ville,
et il a vu un artisan.
Il est allé chez lui.
Bientôt il a passé la moitié de son temps dans le jardin,
et l’autre moitié dans la boutique de l’artisan.
Et il s’est mis à ciseler comme personne
cette pierre venue peut-être du ciel tant elle est belle et parfaite.
Il est devenu un artiste véritable.
Un jour...
le père de Maïlane a voulu faire un cadeau à l’impératrice.
Il possédait un gros bloc de jade.
Il est allé à l’atelier de Tchang-Po
et lui a demandé de faire dans ce bloc
une statue de la déesse de la miséricorde.
Tchang-Po l’a fait.
Elle était d’une beauté indicible,
d’une finesse qui dépassait tout ce qu’on avait fait jusque là.
Même les boucles d’oreilles étaient parfaites, et tournaient autour de l’oreille.
Mais quand le père l’a vue,
il est resté interdit ....
La déesse ressemblait à Maïlane !
C’est alors qu’il a réalisé que Tchang Po
était beaucoup trop attaché à Maïlane,
et Maïlane à Tchang Po.
Il dit à Maïlane qu’il n’était pas question qu’elle puisse aimer son cousin,
qu’il fallait qu’elle cesse de le voir,
et qu’elle devait se marier avec un homme riche et haut placé,
le fils d’un autre haut magistrat de la ville.
Maïlane a refusé tous les partis,
et elle a continué à voir, de temps en temps, Tchang Po.
Elle s’étonnait du calme qu’il gardait.
Il lui disait :
« Comme le ciel est fait pour la terre,
et la terre pour le soleil,
tu es faite pour moi, et moi pour toi.
Personne n’y peut rien.
Je ne sais qu’une seule chose,
c’est que je suis bien quand tu es près de moi ».
Mais pourtant, ils ne pouvaient plus se voir comme avant.
Tchang Po continuait à sculpter le jade, de mieux en mieux,
et ses œuvres ont été connues dans toute la Chine.
On ne disait plus « Un jade »,
on disait « Un Tchang Po ».
Pourtant le bonheur n’était plus dans le cœur de Tchang Po,
Ils ont décidé de fuir.
Un soir ils sont partis.
Malheureusement un vieux serviteur les a vus
quand ils traversaient le jardin.
Il a compris et a voulu empêcher Maïlane de partir, car il l’aimait.
Il voulait aussi lui éviter de créer le scandale :
la fille d’un haut magistrat
qui fuit avec un homme qui n’est qu’un artisan
est une fille perdue !
Il a essayé de retenir Maïlane.
Tchang Po l’a repoussé.
Le vieux serviteur a fait une mauvaise chute,
sa tête a heurté une pierre, et il est mort.
Tchang Po et Maïlane ont compris que cette fois
ils étaient vraiment perdus.
Ce n’était plus seulement une fuite,
ils venaient de tuer un homme.
Ils ont traversé toute la Chine.
Ils sont arrivés dans le sud du pays,
là ou l’on extrait le jade de la montagne.
Sans le savoir, ils avaient suivi la route du jade :
Maïlane a dit à Tchang-Po :
« Il ne faut pas que tu fasses à nouveau des œuvres en jade,
ou alors seulement de tous petits objets,
des pendentifs, de la petite bijouterie ».
Ce qu’il a fait, mais à contre cœur.
Ils ont pu vivre, avec peu.
Et toujours Maïlane lui disait :
« Arrête ! Arrête ! C’est assez beau ! ».
Car elle avait peur qu’on le reconnaisse.
Mais parfois, en cachette, il faisait une pièce.
Et il la cachait.
C’est ainsi qu’il a fait un singe qui volait des pêches,
un chien qui dormait avec un œil ouvert et un œil fermé,
un tigre saisissant une biche dans ses crocs, lui serrant la gorge.
Et il gardait ces objets , bien cachés.
Un jour il s’est dit qu’il aimerait bien s’acheter un atelier.
« Sois prudent ! » lui dit Maïlane.
Mais quelque temps après, un homme est venu,
qui lui demanda s’il n’avait pas un objet à lui vendre.
Il lui montra le singe.
L’homme était prêt à acheter cet objet un tel prix
que cela aurait permi à Tchang Po d’acheter un atelier.
Il le lui vendit.
L’acheteur fut ravi.
Mais cet objet était tellement extraordinaire
qu’il fut montré partout, partout on en parla.
La nouvelle de cette œuvre,
qui fut reconnue comme étant un Tchang Po,
fit son chemin jusqu’au père de Maïlane.
Il envoya un officier qui vint enquêter dans le village où Tchang Po était installé.
Mais Tchang Po en fut averti à temps :
ils décidèrent de fuir au plus vite.
Maïlane attendait un bébé et le voyage ne fut pas facile,
mais il fallait partir.
Ils partirent en pirogue,
descendirent un fleuve très dangereux.
Et c’est dans un tout petit village que Maïlane accoucha d’un bébé très fragile.
Ils se fixèrent là,
et pour vivre, il décidèrent que Tchang Po, cette fois,
ne toucherait plus au jade, mais ferait de la poterie.
Mais Tchang Po fut très malheureux.
Il ne pouvait pas se passer de la présence de Meïlane,
mais il ne pouvait pas non plus se passer de travailler le jade.
Ses mains souffraient de devoir ne travailler que de la boue
et d’être privé du contact de cette matière divine,
qui diffuse la lumière comme une chair vivante.
Maïlane, elle, lui disait :
« Maintenant tu as un enfant,
tu ne peux quand même pas aimer le jade plus que nous ».
Mais travaillant sans goût à la poterie,
il gagnait difficilement la vie de sa famille.
Parfois même il avait une crise de colère, de désespoir,
où il brisait et piétinait des pièces qu’il avait faites.
C’est alors qu’un marchand passa
et lui proposa de lui acheter une belle pièce
s’il en avait une à vendre.
Quelle tentation !
Il lui vendit le chien qui dort en n’ouvrant qu’un œil.
Le marchand partit avec son trésor.
Mais encore une fois,
cet objet fit son chemin en suivant la route du jade.
Et cette fois Tchang Po ne fut pas prévenu à temps.
Un commissaire se présenta dans l’atelier de l’artiste,
s’assura de son identité,
et déclara à Maïlane et à Tchang Po
qu’ils devaient le suivre, qu’ils étaient arrêtés.
Alors Maïlane dit qu’ils allaient le suivre,
mais qu’il leur fallait un peu de temps pour préparer leurs paquets.
Pour obliger le policier à leur accorder ce délai,
elle mit dans ses bras le bébé !
Et elle dit à son mari de partir.
Il partit.
Pour lui donner le temps de s’éloigner,
elle fit durer la préparation des paquets,
et le temps fut si long qu’à la fin le policier exigea que l’on parte.
Mais Tchang Po n’était plus là.
On le chercha partout.
En vain : il était déjà loin.
Ils emmenèrent Maïlane et l’enfant.
Quand elle fut arrivée, sa mère était morte.
Son père ne lui a ni souri ni parlé.
Et il n’a pas regardé son enfant.
Elle a vécu là, sous surveillance,
et dans la plus grande tristesse.
Le temps a passé.
Un jour, un collègue du père de Maïlane, un haut fonctionnaire,
est venu en visite.
Il a dit qu’il se rendait à la capitale
et qu’il allait faire un magnifique cadeau à l’impératrice :
une déesse de jade blanc, et il a dit :
« Cet objet est la réplique exacte
de la déesse de la miséricorde que vous lui avez vous-même offerte ».
Le père de Maïlane ne voulait pas le croire.
Alors le visiteur a montré l’objet.
Et en effet c’était bien la réplique exacte de la première pièce offerte,
avec, peut-être, une expression plus tragique.
On a demandé au visiteur comment il avait eu cet objet.
Il a dit :
« C’est tout à fait par hasard.
Ma femme avait un bracelet de jade de grande valeur,
et il a été cassé.
Je n’ai trouvé personne qui puisse le réparer.
J’ai fait une annonce dans toutes les maisons de thé, les commerces.
Un jour un homme s’est présenté.
Un homme étrange, qui paraissait traqué, effrayé.
J’ai eu beaucoup de difficultés pour lui faire comprendre
que je ne lui voulais aucun mal,
et il a parfaitement réparé le bracelet.
Si bien que je lui ai montré un morceau de jade blanc
que j’avais depuis longtemps,
sans avoir osé le faire travailler jusque là.
Quand il a vu ce morceau de jade, il a été terrifié.
Puis il l’a caressé.
Très longtemps.
Il était perdu dans ses pensées.
Je lui ai dit : « Il ne vous plaît pas ? ».
Il m’a répondu :
« Ce n’est pas cela.
Mais je n’ai jamais vu un si beau morceau de jade ! ».
Je lui ai demandé :
« Voulez-vous me faire dedans une pièce ?
– Oui, mais à une condition :
je ferai la pièce que je voudrai,
et il ne faudra pas me payer ».
Il s’est enfermé dans un atelier que je lui ai prêté.
Il a travaillé plus de trois semaines.
Il mangeait à peine, dormait à peine, ne parlait pas.
Personne ne pouvait voir son travail.
Un jour il est venu.
Il a dit : « C’est fait ».
L’objet était … celui là.
J’étais perdu dans la contemplation.
Au moment où le visiteur terminait cette phrase,
on a entendu un cri d’horreur derrière le paravent.
Le père a écarté le paravent,
et derrière le paravent était sa fille, Maïlane,
et tout le monde a vu que Maïlane et la statue
était une seule et même personne.
La statue avait la même expression tragique
qu’avait le visage de Maïlane à cet instant même.
Elle s’est avancée,
a pris la statue,
l’a serrée contre sa poitrine, en silence.
C’était comme si elle tenait Tchang Po lui-même.
Comme s’il lui avait envoyé un message,
un message qui lui était enfin parvenu.
Alors le père de Maïlane a été frappé par le chagrin de sa fille.
Il a fait faire des recherches dans toute l’étendue de la province du visiteur,
mais jamais on n’a pu retrouver Tchang Po.
Le temps a repris son écoulement.
L’enfant de Maïlane est mort lors d’une épidémie.
Il avait toujours été fragile.
Alors Maïlane s’est fait couper les cheveux,
et elle est entrée dans un monastère.
Elle non plus, jamais personne ne l’a revue.
Commentaires (du mois d'août 2009)
Je reçois de Pascale ce commentaire,
mais qui, pour une raison inconnue, n'est pas arrivé dans cet espace.
Je l'y place car il a trait directement à cette page.
Le conte de Maïlane et de Tchang Po
Pascale
Bonjour,
Comme tu le demandes dans ton préambule au conte, voici ma contribution...
et voici donc les quelques petites fautes que j'ai relevées après relecture.
Ci-dessous la version corrigée de ces passages.
- D’autres non : ceux-là jouaient le rôle...
- et il a vu un artisan. Il est allé chez lui.
- Il est allé à l’atelier de Tchang-Po...
- Il dit à Maïlane qu’il n’était pas question...
- « Sois prudent ! » lui dit Maïlane.
- L’enfant de Maïlane est mort...
Voilà c'est tout !
Avec toutes mes amicales pensées,
Pascale
Un grand merci à Pascale !
Elle va recevoir un premier prix de "correctrice".
Car c'est bien un métier, n'est-ce pas Sittelle ?
Or Pascale m'a signalé plusieurs fautes, une non concordance de temps ("il dit", et non pas "il a dit")mais surtout celle-ci, très importante, que je fais souvent : j'avais écrit deux fois : "il a été" (chez lui - à l'atelier de Tchang-Po) alors que l'expression correcte est "il est allé".
Quel plaisir d'être enseigné par une maîtresse à qui l'on peut faire un bise !
Rien que pour ça, je crois que je vais faire encore quelques fautes, exprès !
Les enfants préfèrent qu'on leur lise ces contes plutôt que de les lire eux-memes ou qu'on leur raconte.Ils se sentent plus en sécurité, Mais ils adorent se faire peur entre eux.
Commentaire posté par Allier-née le 25/08/2009 à 20h59
Trois remarques intéressantes !
1-Les enfants préfèrent qu'on leur lise ces contes
Ils retrouvent ainsi la nature originelle du conte, qui est d'être une transmission orale : transmission de ce qui, sortant d'une bouche, vient à l'oreille.
Sans intermédiaire sophistiqué. C'est de toi à moi !
2-Ils se sentent plus en sécurité
la présence physique de celui qui parle permet à l'enfant d'explorer les choses les plus horribles sans danger, et d'enrichir ainsi son intelligence.
3-ils adorent se faire peur entre eux.
ça, il faudra se demander pourquoi... vous avez une idée ?
Magnifique conte......Je pense que des enfants occidentaux de 9-10ans peuvent le lire.Entre eux , ils se racontent des histoires bien plus horribles...et puis les contes ne sont pas pour les enfants.....à l'origine..
Barbe bleue est nettement plus horrible que ce conte ......Le petit Poucet aussi...Et le Chaperon rouge...... immoral......Et pourtant les gosses adorent.
superbes illustrations, Mister Kasimir.Bonne soirée
Commentaire posté par Allier-née le 25/08/2009 à 19h40
Entre eux , les enfant se racontent des histoires bien plus horribles...
Tu as sans doute raison : c'est peut-être surtout nous, les adultes, qui sommes choqués, comme si nous nous sentions incapables de réécrire l'histoire d'une autre façon.
Si l'enfant le lit en même temps que ses parents, il peut se rassurer : mon papa ne ferait pas ça !
A chaque parent de voir !
J'ai aussi des contes esquimaux très cruels. Je les aime beaucoup, mais certains donnent froid dans le dos.
Un jour peut-être j'oserai....
Je trouve que ce conte est magnifique. Il a l'intérêt de "parler" de la vie, sans l'embellir, et on peut penser qu'un conte c'est aussi ça et pas seulement ne montrer que les beaux côtés de la vie..... Je suis d'accord pour dire qu'il vaut mieux éviter de le faire lire à des enfants, du moins occidentaux (en orient je ne sais pas ?)
Pascale
Les contes, à la différence des fables, n'énoncent pas une morale.
Ce conte là ne fait que décrire une relation père-fille... possible.
Celui qui écoute un tel conte en tire les conclusions qu'il veut.
C'est peut-être la meilleure façon de nous faire changer : nous montrer où peut conduire tel ou tel comportement. Pas besoin de "dire une morale". L'horreur du résultat, si on en prend conscience, suffit à provoquer un changement radical.
C'est d'ailleurs la phrase clé du conte : celle où il est dit que le père, voyant le profond chagrin de sa fille, réalise enfin que...
Picasso n'agit pas autrement que ce conteur quand il peint Guernica : il se contente de nous montrer l'horreur d'un massacre.
Trop triste... c'est tout le poids de la société qui décide de nos vies; c'est encore vrai. Il faut du courage pour se démarquer et des moyens extra-ordinaires pour persévérer. C'est bien amer pour démarrer la journée... tu nous renvoies à nos failles, Kasimir !
(comm de Sittelle)
Pardon princesse du Nord !
J'ai hésité à vous mettre ce conte, qui est d'une profonde tristesse en effet.
Mais réaliste en même temps.
Une lueur d'espoir : le père de Maïlane comprend enfin combien sa "volonté" d'être le maître de la vie de sa fille était mauvaise : il change enfin.
On peut supposer que celui qui entend ce récit en sera peut-être touché, et changera à temps son propre comportement.