- Le Mandala de Manduel me l'a dit : nos bonheurs sont éternels -
Sept moines tibétains sont venus du Ladakh,
cette partie du Tibet qui fait maintenant partie de l'Inde.
De vrais moines.
Accueillis par la municipalité de cette ville, à quelques km de Nîmes,
ils ont entrepris la réalisation d'un mandala.
Comptant bien que leurs visiteurs leur laisseraient quelques sous pour faire vivre leur école.
Ce mandala, dont j'ai oublié le nom,
ils le réalisaient en 5 jours.
Quatre moines travaillant en même temps, sans relâche, huit heures par jour.
Quand nous sommes allés à Manduel, l'ouvrage en était à peu près à la moitié.
Dans différents bols, des poudres de pierre,
une pierre amenée de l'Himalaya, finement pulvérisée,
et colorée de différentes couleurs
(traditionnellement avec des pierres semi précieuses).
Chaque moine dispose d'une sorte de long tube métallique, conique, en entonnoir.
Il prélève une poudre par le bout large.
Le bout fin est si petit que la poudre s'en échappe difficilement.
Le moine le positionne à l'endroit voulu,
et par friction d'une zone crantée, avec un objet métallique,
il provoque une vibration qui fait descendre la poudre.
Son geste est d'une précision extrême.
Les dessins sont minuscules dans leurs détails.
Et évidemment codifiés .
Les moines l'exécutent parfaitement et sans le moindre modèle.
La progression est lente.
Navré que cette photo soit floue,
mais on devine l'objet (à droite) qui sert à déposer la poudre.
Ah, j'en ai une autre où c'est plus net :
On voit même l'objet avec lequel le moine frotte le tube pour provoquer l'écoulement de la poudre.
Voilà,
j'ai bu une tasse de thé (au beurre de yak ????)
mangé un gâteau, et je suis parti..
Mon hôte m'a expliqué la suite des évènements.
Nous étions le jeudi 27 septembre.
Le mandala allait être achevé le samedi 29.
A cette occasion une cérémonie.
Le lendemain, dimanche 30 septembre 2012, nouvelle cérémonie, très solenelle,
à laquelle mes hôtes devaient se rendre.
Le mandala est divisé en deux par un objet
puis balayé,
tous les sables réunis en un tas unique,
d'un sable désormais grisâtre,
et qui doit ressembler à la cendre d'une incinération.
Cette cendre, non, ce sable sera ensuite amené à la rivière la plus proche.
Ses eaux le mèneront finalement à la mer....
et le cycle se poursuivra .....
Le symbolisme d'un tel rite est évident.
Il existe de nombreux modèles de mandalas,
chacun à un nom et un thème particulier.
Mais le thème commun est l'écoulement du temps,
et l'impermanence de toutes choses.
En mon esprit cette pensée a poursuivi son chemin.
Il m'est apparu que cette réalisation, artistique, est l'image même de notre vie.
Nous avons à y établir, autant que nous le pouvons, le plus beau des dessins.
Avec patience, application, adoration.
Un jour viendra ou le vent balaiera ce mandala que nous sommes devenu.
Il n'en restera rien qu'un petit tas de cendres.
N'en soyons pas tristes : c'est la loi de toute vie.
C'est ainsi, pas autrement.
Et c'est très bien ainsi.
Mais nos bonheurs, alors, où sont-ils ?
Ils sont dans le fait de les vivre avec une joie profonde.
Mais me direz-vous, ces moments heureux sont extrêmement brefs.
Plaisir d'amour " ne dure qu'un-un instant "
et pas seulement les plaisirs de l'amour.
Celui aussi de nous rencontrer.
De nous regarder, de nous parler, de nous sourire.
Nous nous rencontrons, nous restons un moment ensemble,
un jour, deux jours, trois jours,
puis nous nous quittons.....
Et bien non , nous ne nous quittons pas !
Nous habitons désormais l'un dans l'autre.
Cela est mystérieux, mais cela est.
Et le coucher de soleil sur l'étang de Thau, qui n'a duré que quelques minutes,
et la splendeur des falaises calcaires des gorges de la Dourbie ou de la Jonte,
et la souplesse des chats de mes hôtes Nîmois,
et la croûte dorée et prometteuse d'une fouasse ou d'une croustade aveyronnaise,
bref, tous ces minuscules éclats qui brillent un instant dans nos journées,
demeurent à jamais dans nos ciels intérieurs.
Il faudrait évidemment mettre en premier lieu la joie de nos échanges.
Tout cela ne dure que très peu, matériellement.
Mais en nous cela dure pour toujours et nous illumine de l'intérieur.
Alors le balai du temps pourra bien effacer le mandala que nous sommes,
il demeurera pour l'éternité.
A condition que nous ne cherchions pas à figer l'instant,
à posséder l'objet qui se présente à nous, dans sa grâce,
à posséder l'autre comme un objet,
comme une propriété.
Ô temps suspens ton vol !
c'est la parole à ne pas dire.
Parce qu'elle est vaine,
et aussi parce qu'elle nous plonge dans la détresse de la frustration
dans l'enfer de l'envie, de la jalousie,
dans la désespérance de la solitude.
Notre bonheur n'est pas dans la possession
mais dans le fait d'épouser, ensemble, le mouvement de la vie.
C'est la leçon que j'ai reçue du mandala de Manduel.